Les personnages féminins de la trilogie Retour vers le futur entre conformisme social et désir de liberté

L’une des caractéristiques du cinéma de Robert Zemeckis réside dans l’importance qu’il accorde à ses personnages féminins. Ceux-ci véhiculent tout aussi bien que les personnages masculins les thèmes et obsessions du réalisateur. Plusieurs de ses films ont d’ailleurs des femmes pour héroïnes ou protagonistes de premier plan : Romancing the stone (A la poursuite du diamant vert), Death becomes her (La mort vous va si bien), Forrest Gump, Contact, What lies beneath (Apparences). La trilogie Retour vers le futur s’inscrit parfaitement dans cet univers profondément paritaire. Un univers où les femmes ne sont pas en retrait et partagent avec les hommes la même humanité mais également les mêmes formes d’aliénation.

Comment les personnages féminins répondent-ils au besoin de conformisme social et au désir de liberté qui caractérise l’ensemble de la trilogie ?

I- Lorraine Baines-Mc Fly

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Lorraine Baines, l’épouse de George Mc Fly (sauf dans le 1985 alternatif où elle devient la femme de Biff) et la mère de Marty est le seul personnage féminin que l’on voit à trois âges différents : à l’adolescence, à l’âge mûr et enfin au troisième âge. Ces différentes étapes permettent d’observer l’évolution du personnage, dont le comportement rebelle et frondeur à l’adolescence se transforme en attitude conservatrice voire réactionnaire à l’âge adulte.

A. Une adolescente rebelle dans un carcan puritain

Lorsqu’on la découvre à l’âge de 17 ans en 1955 tout nous indique qu’elle est en rupture avec sa famille. Dans sa chambre rose elle a deux photos de James Dean, l’acteur emblématique de la jeunesse rebelle des années 50. La fureur de vivre réalisé par Nicholas Ray date de 1955 et met en scène une cellule familiale en crise de même qu’A l’est d’Eden d’Elia Kazan sorti la même année. Dans ces deux films les parents sont absents, défaillants ou incapables de comuniquer, à l’image de la propre famille de James Dean. Un fossé abyssal sépare les parents d’une jeunesse livrée à elle-même, privée de repères et de modèles.

D’autre part elle possède un livre de poèmes d’amour d’Elisabeth Barrett Browning «Les sonnets portugais » . Elisabeth est une poétesse de l’époque victorienne qui a vécu une partie de sa vie paralysée et cloîtrée dans sa chambre sous l’autorité d’un père tyrannique qui ne voulait pas que ses enfants le quittent et se marient. Mais elle a réussi à communiquer avec le monde extérieur grâce à la publication de ses poèmes. Un de ses admirateurs, le poète Robert Browning est tombé amoureux d’elle, a réussi à la rencontrer et à la conquérir. Ils se sont mariés clandestinement puis enfuis en Italie où les troubles d’Elizabeth qui étaient d’origine hystériques ont disparu.

Dans cette scène et dans les suivantes on découvre que Lorraine n’a pas froid aux yeux ce qui contraste avec sa tenue vestimentaire de jeune fille sage en soquettes et robes à col claudine. En effet si devant ses parents, elle se comporte en petite fille modèle, elle fait toutes sortes de choses interdites en cachette.

B- Une jeune femme conditionnée pour devenir une femme au foyer au service de son mari

Dès que Lorraine se met en couple, elle se dépouille de tout aspect rebelle pour revêtir le conformisme le plus étroit quelle que soit la version de l’histoire.

Dans la première version, avant les modifications temporelles, on découvre qu’elle est tombée amoureuse de George juste après qu’il se soit fait renverser par l’automobile de son père : « Il avait l’air tellement désemparé. On aurait dit un petit chien perdu, ça m’a bouleversé. » Doc comprend alors qu’elle a été atteinte de l’effet Florence Nightingale « Ca arrive dans les hôpitaux, l’infirmière tombe amoureuse du malade. ». Florence Nightingale était une infirmière britannique du XIX° siècle qui s’est vouée à ce métier au point de tout lui sacrifier. Elle a contribué à renforcer le stéréotype de l’infirmière angélique, désintéressée et altruiste qui soulage les souffrances. Le dévouement c’est-à-dire le sacrifice de soi au profit de quelqu’un d’autre ou d’une cause est une qualité attendue des femmes.

Par conséquent, Lorraine se retrouve trente ans plus tard affublée d’un gamin attardé qui ne lui prête aucune attention. Ses frustrations se traduisent par l’alcoolisme et le surpoids. Elle se réfugie dans la nostalgie et serine le moment de sa rencontre avec George au point d’exaspérer ses enfants. D’autre part elle est remplie d’amertume au point de les freiner dans leurs désirs d’émancipation et de leur mentir sur ce qu’elle était dans sa jeunesse : «Parce que tu trouves ça bien, toi. Que les filles courent après les garçons ? Quand j’avais ton âge, je n’ai jamais couru après un garçon ou téléphoné à un garçon et je ne suis jamais restée seule avec un garçon dans une voiture ».

Dans la deuxième version lorsque Marty intervient dans le passé de ses parents Lorraine lui confie ce qu’elle attend d’un homme : « J’ai toujours pensé qu’un homme doit être fort… qu’il doit être capable de se défendre et de protéger la femme qu’il aime. » Marty devient alors le mentor de George et l’aide à devenir ce que souhaite Lorraine «Il faut lui montrer que toi, George McFly, tu es un battant, un homme capable de se défendre, quelqu’un de fort qui saura la protéger. » C’est ainsi que George devient un homme viril qui la sauve d’une tentative de viol par Biff. Une vision des relations hommes-femmes très conservatrice!

Dans la troisième version de l’histoire révélée dans le deuxième film, George a été assassiné par Biff en 1973. Celui-ci a ensuite épousé Lorraine. Pourtant en 1955, en dépit de ses avances pressantes, Lorraine avait juré qu’elle ne l’épouserait jamais même « pour un million de dollars. » Mais incapable de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, elle est obligée de renier ses principes. Sa dépendance s’accroît avec Biff qui la contrôle à la fois physiquement et économiquement.

II- Jennifer Parker-Mc Fly

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C’est la petite amie de Marty appelée à devenir son épouse dans le futur. Jennifer est moins un personnage qu’une accumulation de clichés et de stéréotypes. A travers elle, les auteurs critiquent le conformisme social de l’American way of life, comme ils le font à travers Lorraine mais d’une manière encore bien plus appuyée.

A- Un personnage inconsistant au service des besoins de son homme

Tout d’abord Jennifer n’apparaît jamais autrement que comme « la petite amie de Marty ». Elle n’apparaît d’ailleurs jamais sans lui. Elle est si transparente que les auteurs ont pu se permettre de changer d’actrice entre le premier et le deuxième film sans chercher à le dissimuler contrairement au changement d’acteur incarnant George Mc Fly. Le fait est qu’en dehors des fans, peu de gens s’en aperçoivent. La petite amie de Marty apparaît comme une figurine au visage interchangeable dans une panoplie heighties à base de brushing et de jeans, chemisiers et gilets pastels à fleurs.

Ensuite elle apparaît comme étant au service des besoins de Marty. Elle l’écoute, le conseille, le réconforte, se fait punir à cause de lui. A aucun moment elle n’exprime de besoins ou de désirs propres et ne semble pas avoir de vie en dehors de lui. Dans le deuxième film, on apprend qu’elle a épousé Marty par pitié après l’accident qui lui a coûté sa carrière de rocker. On retrouve donc bien chez Jennifer l’effet Florence Nightingale déjà perceptible chez Lorraine.

B- Un personnage matérialiste

En échange de ce dévouement, elle attend, comme toute femme qui vit à travers un homme, un certain nombre de gratifications, symboliques et matérielles. Elle est vraisemblablement tombée amoureuse de Marty en le voyant jouer de la guitare. Il est évident qu’elle ambitionne de devenir la femme d’une rockstar riche et célèbre. Marty en est pleinement conscient. Il est soucieux de l’impressionner, en se faisant offrir un 4×4 pour l’emmener pique-niquer au bord du lac par exemple. Dans l’une des premières séquences de Retour vers le futur II lorsqu’elle questionne Doc sur son avenir à bord de la Deloréan, on découvre que ce qui l’intéresse, ce sont les signes matériels de réussite sociale. Elle veut savoir si elle a fait un grand mariage et voir sa robe de mariée, savoir si elle habite une grande maison et combien ils ont eu d’enfants.

III- Clara Clayton-Brown

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Clara n’apparaît que dans le troisième film parce qu’elle est liée à l’histoire de Doc qui en est le personnage central. Son lien avec Marty est donc indirect contrairement à Lorraine et Jennifer. D’autre part si Clara ressemble beaucoup à Lorraine, elle connaît un parcours inverse. Son allure corsetée cache une nature flamboyante et éprise de liberté qui s’épanouit au contact de Doc.

A- Les habits de la demoiselle en détresse

Comme les autres femmes de la saga, Clara porte sur elle les marques d’un fort contrôle social lorsqu’on la découvre. En tant que femme du XIX° elle se plie à un code vestimentaire contraignant ainsi qu’aux codes de la bienséance qui l’obligent à la passivité. Par exemple dans la scène où elle se rend au bal, elle attend que son prince (alias Doc) vienne la trouver et prenne l’initiative de l’inviter à danser. De même leur rencontre obéit au stéréotype culturel le plus passéiste qui soit, celui de la demoiselle en détresse secourue par un chevalier blanc.

B- Une femme indépendante et pionnière

Contrairement à Lorraine et à Jennifer qui passent directement du père au mari au cours de leur adolescence, Clara a largement la trentaine lorsqu’elle fait la connaissance de Doc. Par conséquent elle a eu le temps de construire une vie à elle et elle n’est sous le contrôle d’aucun homme. Elle exerce le métier d’institutrice, a des passions et décide seule de son destin. On apprend dans le film que son père a joué un rôle essentiel dans son émancipation en lui offrant dans son enfance un télescope lorsqu’elle était malade et alitée.

Clara est une femme intelligente et cultivée, s’intéressant à des domaines d’ordinaire investis par les hommes : la science et la science-fiction. Elle fait donc figure en ce domaine de pionnière. Passionnée d’astronomie, elle connaît entre autre les reliefs lunaires et la plupart des constellations. De façon subliminale elle affirme également ainsi sa différence. Elle rêve de voyager dans l’espace et cite par cœur De la Terre à la Lune. Doc lui dit d’ailleurs que c’est la première fois qu’il rencontre une femme qui aime Jules Verne. Un auteur bien connu pour sa misogynie et dont l’œuvre ne comporte quasiment que des personnages masculins. En s’appropriant son livre, Clara lui fait un pied de nez d’autant que Doc dont on connaît la passion pour Jules Verne l’écoute, admiratif et fasciné comme s’il était l’un de ses élèves.

Conclusion

Ainsi l’étude des trois personnages féminins principaux de la trilogie a permis de dégager trois attitudes bien différentes face au besoin de conformisme social et au désir de liberté qui tiraille également les personnages masculins. Lorraine illustre l’adolescente rebelle qui rentre dans le rang une fois parvenue à l’âge adulte et disparaît en tant qu’individu. Jennifer illustre quant à elle la femme programmée pour servir le schéma patriarcal, puritain et matérialiste de l’Amérique profonde, un schéma qu’elle ne remet jamais en question. Enfin Clara illustre la jeune femme d’apparence timide mais dotée d’une forte personnalité qu’une rencontre décisive amène à bouleverser l’ordre établi. Elle préfigure Eleanor Arroway, l’héroïne de Contact, astronome visionnaire qui à force d’obstination parvient à concrétiser son rêve et à ouvrir un chemin inédit à l’humanité.

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